Les idées reçues
Dernièrement, j’ai regardé le documentaire d’Arte : “le business du bonheur”. D’après ce documentaire, le bonheur est devenu un enjeu de société, au même titre que la réussite financière. Il s’agit d’une quête récente avec cette idée sous-jacente que, si nous ne sommes pas heureux, c’est parce que nous n’avons pas fait ce qu’il fallait pour. Comme si, le bonheur, était uniquement une question de volonté.
Ce documentaire fait très largement écho à mon vécu dans le milieu du développement personnel et dans une certaine mesure, dans l’environnement du yoga. Je constate régulièrement que ce domaine (je précise que j’enseigne le yoga) est souvent teinté par les idées à la mode que sont la loi d’attraction ou la pensée positive qui nous rendent seuls responsables de ce qui nous arrive. Je vous invite fortement à écouter cet excellent podcast de META de choc qui traite du sujet : les dangers de la pensée positive. Cette idée couramment répandue est à double tranchant : lorsque tout va bien, elle nous rassure, et lorsque les choses dérapent, nous avons l’impression d’en être responsable et nous culpabilisons.
Personnellement, j’ai longtemps cru qu’avec la pratique du yoga tout devrait aller vers le mieux : meilleure santé, accroissement de la vitalité, bien-être accru. Mais, est-ce bien le cas?
La pratique du yoga est-elle toujours synonyme de bien-être?
La pratique du yoga, comprenant la méditation, nous permet un voyage intérieur qui n’est pas toujours de tout repos. Notre mental, en effet, et notre inconscient en particulier, a conservé en mémoire des événements qui peuvent revenir à la surface et être très perturbants. La méditation peut aussi mettre en exergue des comportements, des habitudes, des conditionnements que nous ne voyons pas préalablement et que nous constatons avec brutalité. La lucidité, si elle est utile pour évoluer, n’est pas constamment de tout repos.
Dans la philosophie du yoga, il y a une mythologie qui me plaît énormément: celle d’Adishesha, le serpent reposant sur l’océan . Allez, un peu de culture indienne (une fois n’est pas coutume…) voici une illustration de cette légende:
Le mental, tel l’océan
Selon la légende, Adishesha repose sur l’océan, qui peut être comparé à notre mental. Le mental, comme l’océan peuvent être parfois calmes et paisibles, violents et tumultueux ou, à d’autres moments, sombres et apparemment inertes. Ce mental est constamment en action et ne peut exister sans mouvements (cf. Les quatre premiers yoga sutras, du Dr N. Chandrasekaram). Les émotions, les habitudes, sont donc inhérentes à son fonctionnement : la tristesse, tout comme la joie et toutes les autres émotions, sont des constituants du mental qu’on ne peut éradiquer. Il est donc illusoire d’après la philosophie du yoga de vouloir vivre le bonheur en permanence.
Qui plus est, nous avons tous et toutes une histoire, un contexte de vie particulier. Ce chemin de vie peut être plus ou moins tumultueux. Parfois, j’ai le sentiment que d’autres sont nés sous de meilleures étoiles, qu’ils naviguent sous les alizés, un vent régulier et calme, bien plus souvent que moi. Je ne sais pas. Mais ce qui est sûr, c ‘est que nous traversons tous à un moment ou un autre des événements comparables à des tempêtes : un deuil, une rupture, une maladie. Aucune vie n’est exempte de ces tragédies. Nous pouvons avoir deux types de comportements face à ces circonstances : ou bien, nous les considérons comme des accidents et nous essayons bien vite de les oublier ou bien nous les considérons comme des inéluctables, révélateurs de notre condition humaine souffrante.
Si le yoga ne nous permet pas d’échapper à ces circonstances, il nous permet de percevoir en nous la part qui reste stable, comme Adishesha qui reste à la surface quelles que soient les conditions de navigation. Le yoga pourrait être comparé à une longue vue qui nous aide à voir plus loin. Il nous permet, grâce à la lucidité, parfois, d’éviter certains méandres. Mais éviter la souffrance, cela n’est pas possible.
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